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    004_discontinu et utopie
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    <b>Discontinu et Utopie - 2 analogies.
    Prémisses à une recherche autour de l'autonomie.</b>
    <i>par fabrice gallis - 2012</i>

    L'île, système abstrait du monde pour un temps, et les machines à calcul numérique partagent des caractéristiques tant structurelles que temporelles.

    Le saut d'un état à l'autre dans une machine numérique constitue une espèce de suspension, une pause insécable entre deux états copiés ou computés. C'est dans cet infime interstitice temporel que se glisse le bruit, ennemi des machines. C'est dans cet espace que peut se manifester l'analogique, le bug, que le monde continue de travailler alors que la machine s'arrête. Cette abstraction du monde se produit à intervalles réguliers, très rapidement. Les sytèmes numériques se sont constitué autour de cette perte-pied qui est devenue la condition de leur existence.
    Le découpage binaire du monde comme obstacle et fondation d'un système.

    En étendant ce saut dans le vide à une échelle humaine, on touche à l'idée d'un oubli discontinu fait d'amnésies successives.
    Pour conserver la mémoire au sein d'un système numérique, il est nécessaire d'organiser des successions d'amnésies à un rythme frénétique.
    La mémoire numérique constituée d'oubli nous renseigne-t-elle sur une structure probable de la mémoire humaine individuelle et collective?

    Si l'oubli quitte le nanomonde des ordinateurs, il peut constituer un espace de travail à part entière. C'est là la première analogie, l'île comme oubli momentané. La mémoire de l'île serait alors une suite d'oublis (lack en anglais, le manque qui nous amène à manquer, rater, to miss), de manques, d'échecs, un système imparfait où le bruit s'introduit pour faire planter la machine.
    Ce suspens est fondateur de l'île comme modèle de l'utopie, nécessairement localisée dans l'espace et la durée.

    Seconde analogie, l'île comme système d'exploitation.

    On saute ici à un niveau supérieur de la conception d'une machine numérique.
    Je me permettrai plus bas de faire jouer ensemble ces deux analogie en vertu de l'idée qu'une île est nécessairement un espace à l'échelle 1:1 où tous les principes peuvent interagir entre eux indépendament de leur véritable lien logique. Il ne s'agit pas d'un monde fractal de résonnances logiques mais plutôt un système poétique où la décision fait loi.
    L'arbitraire de l'énoncé ne souligne que la dimension performative du langage sur l'île.

    Donc, l'île aussi comme système d'exploitation.

    Ici résonnent deux lectures du terme « exploitation » qui peuvent se rejoindrent parfois. L'exploitation des insulaires par les colons fait partie intégrante de l'histoire des îles.
    L'esclavage, c'est l'histoire des îles, mais c'est aussi un terme qui a refait surface dans la technique des machines numériques. L'organisation maître/esclave des périphériques hiérarchise les priorités de traitement de données dans des flux de communication, ainsi que la dépendance (temporelle par exemple) d'un système à un autre. Le périphérique esclave se synchroniser sur l'horloge du maître et transmet à une vitesse qui peut être inférieure à ses capacités propres (compatibilité descendante dans les périphériques de stockage USB par exemple).
    Cette énergie contenue se libérera un jour.

    Un système d'exploitation s'emploie à résorber le handicap initial des machines numériques à traiter le monde tel qu'il est.
    Le handicap binaire (discontinu) des machines est au cœur même du système.
    Il tend aujourd'ui à s'effacer au profit de machines à l'aspect de plus en plus intuitif, fluide, voire liquide, c'est à dire proche de ce qui définit le monde analogique, l'imprévisibilité, le mouvement, la vie.
    On ne voit plus le bit, ni la boite, mais des surfaces d'écoulement de flux.
    Cette tendance à concevoir un système inadapté, ou extrêmement localisé puis de l'optimiser pour qu'il s'intègre à un univers plus vaste en mimant ses qualités nous donne un modèle pour concevoir l'île comme machine coupée du monde pour un temps.

    L'île laboratoire pourra donc se frayer un chemin entre oubli et exploitation par l'invention de systèmes et d'interfaces.

    Le laboratoire des hypothèses se constituera comme une île ou informera l'île à son image.
    Les outils poétiques pourront constituer un système viable et autonome, mais pour un temps.
    Il s'agit là d'une thèse du laboratoire, s'il en est.
    Un système poétique est fonctionnel comme modèle à l'exploitation du monde, une couveuse à usages du monde.
    C'est de là que vient la nécessité d'un lieu, comme le site archéologique qui a accueilli le laboratoire dans sa première phase.
    Une zone relativement coupée du monde, permet de s'isoler un temps, de développer localement les hypothèses qui pourront, après épreuve, se déployer dans des systèmes plus complexes. Ces systèmes devront partager avec le monde certaines lois nécessaires à la compatibilité.

    Ici s'ouvre encore une piste analogique avec le monde numérique, mais sur un plan inversé, non pas en piochant dans l'informatique mais en y engageant, par le détour de l'île, une visée critique. L'ordinateur comme outil critique.

    L'ordinateur résonne avec le monde actuel pour la bonne raison qu'il l'a accompagné voire informé. Sa structure interne est un modèle de ce monde, en possède les même éléments, reproduit sa hiérarchie. L'oubli, la vitesse, le bruit, l'exploitation, les flux, l'erreur et la réflexivité (feedback) sont les pièces qui animent le monde contemporain.
    Le numérique en est le fruit mais aussi le moteur.
    Il s'y développe les questions qui sont les nôtres, et, chose essentielle, situe la nature à sa juste place, au rang du bruit, de la perturbation, de l'imprévu, de ce qui doit être éliminé et remplacé par une surface fluide et sans erreur.
    Remplacer la vie par une vie affranchie du bruit.
    Une des qualités du bruit est toujours de parvenir – même très rarement – à passer les couches de vérification.
    Cette irruption est nécessairement belle, ou du moins sublime, elle porte en elle et révèle l'ensemble des cercles d'information qu'elle a traversés.
    Si une pâte de verre chauffée garde la mémoire d'un motif imprimé au début du processus de transformation jusqu'à l'objet final, un système poétique contient les traces de ce qu'il a ébréché.

    Il s'organise autour du contrôle du bruit, de sa retenue, établissant un contrat tacite voué à être rompu.
    Le bruit réapparaîtra.
    Pour travailler, il faut oublier la forme finale, l'oublier vraiment, pour un temps.

    Alors un laboratoire structuré, méthodique n'est pas l'ennemi de l'art.
    Si son enveloppe est tissée de relations imparfaites, on le calfeutrera par de nouvelles théories, hypothèses, récits, pansements, mais il finira toujours par fuir.
    Le bruit liquide y fera jaillir sa pression, il finira par échouer là où sa dérive l'aura mené et en échouant, libérera son information, son infini potentiel poétique.
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